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D’après la croyance universelle, tant en Chine que dans l’Annam, les mânes des individus privés de sépulture, ou dont les tombeaux ne sont pas entretenus, tourmenteraient les vivants, en les inquiétant par des apparitions funestes et en leur reprochant leur ingratitude, s’ils ne trouvaient pas, là où ils ont habité et le jour où ils peuvent quitter les enfers, de quoi se vêtir, pourvoir à leurs dépenses, calmer leur faim, étancher leur soif.

De là l’origine du rite symbolique qui consiste, pour chaque chef de famille, après les prosternations d’usage, à offrir des sacrifices aux âmes abandonnées, en leur distribuant, sur le seuil de sa porte, du riz cuit, du sel, des fruits, des sapèques ; en faisant à leur intention exclusive des libations de thé et d’alcool de riz ; en allumant des bougies cire et des baguettes odoriférantes ; en brûlant des monceaux de papier de cérémonie sur lequel sont des empreintes de monnaies, de vêtements et de toutes sortes d’ustensiles de ménage destinés à leurs besoins. Tout se passe en pleine rue, à la clarté de la lune, au milieu de véritables feux de joie. De malfaisantes qu’elles étaient, les âmes, ainsi traitées, deviennent tutélaires, répandent des bénédictions ici-bas, écartent du foyer de chacun les malheurs et les soucis, favorisent le négoce du marchand, assurent une bonne récolte au cultivateur.

Dans certaines localités, on fabrique un bateau en carton sur lequel sont accumulés des victuailles, des gâteaux, des vêtements en papier, avec force baguettes d’encens et chandelles allumées, qu’on laisse flotter au fil de l’eau, et que le fleuve entraîne on ne sait où. La formule d’invocation d’adieu[1] aux âmes est assez pittoresque et imagée, au lancement de cette barque d’un nouveau genre, construite aussi en tiges de bananier, et chargée de pieuses offrandes :

« Allez aux pays, aux champs que vous habitez ! Allez aux montagnes, sous les pierres qui vous servent de résidence ! Allez ! Retournez ! Au mois, à la saison, au temps, à l’époque ultérieure, vos fils et vos petits-fils penseront à vous ! Vous reviendrez alors ! »

III. La barque refuge des âmes

Une famille a-t-elle éprouvé le malheur d’avoir un de ses parents disparu dans le fleuve ? Un mois après le fatal accident, s’organise une cérémonie que l’on répétera tous les ans, à la même époque. On dispose dans une barque un autel, sur lequel on fait des offrandes rituelles de gâteaux à forme ronde, colorés en rouge, et des fruits de la saison. La barque est montée par des sorciers (thai phap), dont le ministère est d’exorciser les démons (ma koui), qui hantent le corps des possédés, ou, d’après la superstition, infestent certaines habitations. La barque est

  1. Empruntée à M. Aymonier et extraite de son intéressante notice sur les Coutumes et Croyances des Cambodgiens.