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la nécessité de la présence d’une postérité masculine ! Cet héritier, c’est le continuateur de la personne du décédé ; c’est lui qui transmettra par tradition orale les formules et les prières auxquelles il est initié ; c’est lui qui les confiera plus tard à son fils aîné, dépositaire, à son tour, des tablettes dressées en l’honneur de toute la lignée d’aïeux !

Le culte des ancêtres[1] existe aussi dans l’Inde, où le devoir des obsèques et la vocation à l’hérédité sont corrélatifs, incombant de préférence à la descendance masculine jusqu’au troisième degré ; où la croyance est qu’un Hindou doit laisser, à sa mort, un fils engendré légalement ou reçu en adoption, dont l’office pieux est d’arracher les mânes des ancêtres d’un lieu de châtiment et d’horreur, nommé pout, où ils subiraient les tourments de la faim et de la soif, s’ils étaient privés des offrandes d’aliments et des libations d’eau qui doivent être faites aux époques prescrites. « Par un fils, dit Manou (livre IX sloca 137), un homme gagne les mondes célestes ; par le fils d’un fils, il obtient l’immortalité ; par le fils de ce petit-fils, il s’élève au séjour du soleil. »

La communauté de biens[2] — qui est la base de la constitution civile intérieure des familles dans l’Inde — consiste en une agrégation plus ou moins vaste, plus ou moins ancienne, d’individus du sexe masculin liés entre eux par la parenté agnatique, c’est-à-dire issus, par les mâles seulement, d’un auteur commun, n’ayant qu’un domicile, ne possédant qu’un patrimoine administré par un chef de leur choix dont les engagements les obligent tous, accomplissant en commun sous son autorité les cérémonies joyeuses ou funèbres de la famille, apportant chacun à la masse le fruit de leur labeur pour en faire bénéficier les autres co-intéressés, chargés d’entretenir les mères, veuves, aïeules, d’élever, de nourrir et de doter à frais communs les sœurs et les filles du groupe paternel. Les femmes et les étrangers en sont exclus.

Tel est, à grands traits, le mécanisme de cette institution domestique (la communauté de biens), — appelée coparcenary par les indianistes anglais, en tête desquels il faut citer l’érudit juriste Sir Thomas Strange, auteur d’un ouvrage resté classique, ayant pour titre : Hindu Law — qui offre plus d’un trait de ressemblance avec le γένος des anciennes cités grecques ou la gens romaine, dont le point de départ est la copropriété du père et de ses fils dans le patrimoine commun des ancêtres, dont le but est la conservation des biens entre les agnats d’une même famille, réunis autour du

  1. L’ordonnance du 6 janvier 1819, rendue à Pondichéry par le Gouverneur des Établissements français dans l’Inde, déclare (art. 3) que les « Indiens, soit chrétiens, soit Maures ou gentils, seront jugés, comme par le passé, suivant les lois et coutumes de leurs castes. »
  2. Les Musulmans de l’Inde ne sont pas régis par la loi hindoue, notamment en ce qui touche la communauté de biens.