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nent certains amas de débris végétaux, comme on en voit tant flotter sur les fleuves aux rives tourmentées : quand ces amas remontent ou traversent le courant, un tigre s’y dissimule. Décidément Ong Cop (Monsieur le Tigre) est fertile en inventions, et possède toutes les ruses de guerre dans son combat pour l’existence, où il n’a qu’un médiocre souci de celle de la race humaine.

XII. Le culte des ancêtres en Chine[1]

Le culte national que Confucius (Kong-tseu), le patron des lettrés, recommande à l’égard des ancêtres, est-il un véritable culte ? Sans méconnaître ce qu’il y a de superstitions dans les sacrifices, offrandes de mets, libations et festins, que la coutume (phep) exige d’accomplir devant l’autel domestique où sont déposées les tablettes ancestrales, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’il se dégage de ces prosternations (lay) et invocations un symbole, la croyance à l’immortalité de l’âme, tout au moins à une nouvelle existence après la mort, à l’intervention d’un génie protecteur dans la conduite des affaires de chaque famille. Les mânes des aïeux ont autant besoin, pour leur félicité d’outre-tombe, de l’hommage de leur descendance que celle-ci a intérêt à les invoquer ici-bas, pour qu’ils lui accordent en retour le bonheur, la santé, la richesse.

Le père de famille, en suivant ces prescriptions, se soumet à la coutume établie, parce que ses ancêtres l’ont observée avant lui, parce qu’il est sûr de mériter, de son vivant, les louanges et les bénédictions de l’ascendant dont.il honore la vieillesse, parce qu’il est sûr d’obtenir, après sa mort, à moins qu’il ne soit

  1. L’article 11 du décret du 25 juillet 1864 qui organise la justice dans les possessions françaises en Cochinchine, dispose comme suit :

    « La loi annamite régit toutes les conventions et toutes les contestations civiles et commerciales entre indigènes et Asiatiques. » C’est la charte des Annamites, envers lesquels la France s’est engagée à respecter leurs coutumes, usages et croyances, et à leur appliquer leurs lois civiles, qui reposent, comme en Chine, sur une triple base : le régime patriarcal, la piété filiale, le culte des ancêtres. — Voy. La Piété filiale en Chine, par M. Dabry de Thiersant, Paris, Leroux, 1877 ; La Puissance paternelle en Chine, par M. Scherzer Paris, Leroux, 1878 ; La Cité chinoise, par M. Simon, Paris, Nouvelle Revue, 1885. — Voy. encore le remarquable ouvrage de l’éminent M. Fustel de Coulanges, de l’Institut, La Cité antique, Paris, Hachette, 1876, 6e édition. — Voy. surtout : a) Le Code pénal de la Chine (Ta-Tsing lu li), traduit du chinois par Sir G. T. Staunton, et mis en français par M. Renouard de Sainte-Croix, Paris imprim. Crapelet 1812, 2 vol.  ; b) Le Code annamite, traduit du chinois par M. Aubaret, Imprim. Impér., 1865, 2 vol.  ; c) Le Code annamite, traduit du chinois par M. Philastre, Paris, Leroux, 1876. 2 forts vol.  gr.  in-8o ; d) Le Pays d’Annam, par M. Luro, Paris, Leroux, 1878.

    Vétéran de la Cochinchine française, j’ai eu la bonne fortune d’y rencontrer en 1868, M. Philastre, l’éminent sinologue, notre maître et notre guide à tous en matière de droit chinois-annamite. Qu’il me soit permis, en lui payant un juste tribut d’éloges, de rendre un public hommage à sa mémoire, ainsi qu’a celle de M. le lieutenant de vaisseau Luro, mort à la peine, le vulgarisateur si érudit du droit privé applicable aux Annamites.