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puis quatre mille ans, mettent en pratique une fraternité réelle, suggérée par le cœur et proclamée dans leurs livres de morale. Ils la traduisent par cet adage : « Des quatre mers (coins du monde) tous sont frères » — sseu hai kiai hiong ti.

X. Les poissons chanteurs

Il y en a deux espèces en Cochinchine : le ca ong (poisson abeille) et le ca heo (poisson porc). En voici la description. Le premier vit dans l’eau à demi salée du voisinage de la mer ; il n’atteint pas dix centimètres ; il a des écailles grises. Le second vit dans l’eau douce ; il est d’une longueur de quinze centimètres environ et n’a point d’écailles ; sa peau est jaunâtre, et ses barbillons blancs, disposés comme des défenses, l’ont fait comparer au sanglier : d’où son nom peu poétique.

Les deux espèces ont le même mugissement que la grenouille-bœuf anh uong : c’est leur chant. Ce mugissement, court et répété à intervalles précis, emprunte au milieu liquide où il retentit une sonorité particulière, qui rappelle les notes graves de la harpe.

Ces poissons se nourrissent des mousses et végétations du bois immergé : c’est, sans doute, ce qui les attire autour des embarcations, qu’ils suivent sur un assez long trajet. Ces rencontres sont très intéressantes : sous un beau ciel, une douce brise enflant la voile, l’embarcation glissant sans bruit sur un grand fleuve paisible, tout cela donne un charme de plus à ce concert improvisé et amène infailliblement de gracieuses réminiscences. Ces poissons doivent être communs à tous les grands cours d’eau des régions équatoriales. Un voyageur a fait la découverte de poissons chanteurs dans le fleuve des Amazones.

XI. Le tigre (Hum Cop)

A fourni matière à des légendes intarissables, accréditées par l’esprit craintif et superstitieux des habitants de la campagne. Mais ce qui n’est pas une pure fiction, c’est « le tigre pêcheur ». Les Annamites prétendent qu’il fouille des pattes et même de la queue la vase des berges, pour en retirer les crabes, des poissons et autre menue proie, dont il se nourrit occasionnellement, à défaut de meilleure chasse. Ils ont à ce sujet des histoires de pieuvres, où le sort du roi de la brousse n’est guère enviable.

Il ne faut pas non plus reléguer dans le domaine de la fable ce qu’ils racontent du tigre « qui traverse un cours d’eau en se couvrant d’un amas de paille ». Des Annamites, même des plus intelligents, assurent en avoir été les témoins. On reconnaît, disent-ils, que c’est un tigre qui voyage, à la direction que pren-