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octave crémazie

comme pour montrer sa blessure toujours saignante ; et puis, laissant retomber sur sa poitrine sa tête désespérée, dans un silence, qui disait le grand deuil de sa vie.

L’idée de mon départ lui faisait peur. « Hélas ! me répétait-il souvent, dans quel vide vous allez me laisser ! Depuis des mois nous avons vécu côte à côte comme des frères. Songez qu’en dix ans vous êtes le seul ami du Canada avec qui j’aie pu causer à loisir ; les autres n’ont été que des oiseaux de passage. La pensée de l’isolement dans lequel je vais être replongé me fait tourner la tête. »

La veille de mon départ, après une dernière soirée chez lui, je voulus prétexter l’heure matinale du train pour abréger des adieux que je redoutais ; mais bien avant six heures du matin, il était là m’attendant devant le portique de l’hôtel. Nous montâmes en voiture ; il ne me dit presque rien durant le trajet à la gare du chemin de fer du Nord.

— Je vais aller prendre mon billet de passage, lui dis-je en arrivant, et je tâcherai de revenir vous dire adieu. » Il me comprit, me serra la main à me la briser : de grosses larmes tombaient de ses yeux.

Je ne l’ai plus revu. Il le pressentait aussi bien que moi en me quittant ; cette vie de paria ne pouvait durer. Encore quelque temps, et il allait mourir, loin de son pays, loin même de Paris où l’exil lui pesait, moins qu’ailleurs.

À Québec, sa pauvre mère m’attendait et eut une