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octave crémazie

ments que Dieu infligera aux coupables ne seront pas plus terribles que les morsures de ce malheureux ver ? Pour moi, je me suis toujours formé de l’enfer et du purgatoire une idée beaucoup plus formidable que M. Thibault, et je croirai en être quitte à bon marché si le bon Dieu, pour me faire expier mes péchés, ne me fait souffrir d’autres tourments que la morsure du ver. Pour le moment, je ne vois pas du tout en quoi la perspective de souffrir dans mon corps en même temps que je souffrirai dans mon âme, peut me rendre l’existence insupportable. Ce que je sais, c’est que je dois souffrir, parce que j’ai offensé le Seigneur ; mais, quelle que soit la forme de cette souffrance, je suis certain que Dieu proportionnera mes forces à l’intensité de la douleur et à la longueur de l’expiation.

« Sommes-nous à ce point devenus sybarites que nos esprits ne puissent plus concevoir que des idées anacréontiques, que nos regards ne puissent plus s’arrêter que sur des tableaux riants comme ceux de l’antique Arcadie ?… M. Thibault ne sait pas trop quel charme la douce fiancée pourrait trouver à contempler dans son bouquet nuptial le cœur de sa sœur trépassée. Ni moi non plus ; mais ce que je sais, c’est que la matière ne s’anéantit pas, qu’elle se transforme au contraire et que nous sommes tous, êtres et choses, imprégnés de la poussière humaine tout aussi bien que de la poussière terrestre.

“ « Mais il est inutile de prolonger cette discussion. M. Thibault est attaché d’une manière trop absolue à l’école classique pour que je songe à le convertir.