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octave crémazie

impossible, sinon une formidable, une titanesque fantaisie, où se heurtent, dans un monde énorme, les idées les plus étranges et les plus magnifiques ?

« Il y a une autre espèce de fantaisie qui consiste à donner une forme à des êtres dont l’existence est certaine, mais dont la manière d’être nous est inconnue. Les anges et les démons existent, quelle est leur forme ? C’est à cette espèce de fantaisie qu’appartient la première partie de mon poème des Trois morts. Les morts dans leurs tombeaux souffrent-ils physiquement ? Leur chair frémit-elle de douleur à la morsure du ver, ce roi des effarements funèbres ? Je l’ignore, et je serais bien en peine s’il me fallait prouver l’affirmative ; mais je défie M. Thibault de me donner les preuves que le cadavre ne souffre plus. C’est là un de ces mystères redoutables dont Dieu a gardé le secret pour lui seul. Cette idée de la souffrance possible du cadavre m’est venue il y a plusieurs années : voici comment. J’entrai un jour dans le cimetière des Picotés, à l’époque où l’on transportait dans la nécropole du chemin Saint-Louis les ossements du Campo-Santo de la rue Couillard. En voyant ces ossements rongés, ces lambeaux de chair qui s’obstinaient à demeurer attachés à des os moins vieux que les autres, je me demandai si l’âme, partie pour l’enfer ou le purgatoire, ne souffrait pas encore dans cette prison charnelle dont la mort lui avait ouvert les portes ; si, comme le soldat qui sent toujours des douleurs dans la jambe emportée par un boulet sur le champ de bataille, l’âme, dans le séjour