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journal du siège de paris.

L’Officiel donne le texte de l’armistice. C’est une capitulation pure et simple. Seulement l’armée ennemie n’entrera pas dans Paris, du moins pendant l’armistice. La ville est tranquille. Quelques groupes mettent flamberge au vent… en paroles. Si on leur demandait de continuer la lutte et de laisser mourir de faim leurs femmes et leurs enfants, m’est avis qu’ils répondraient par une vilaine grimace. Quelques vieux militaires pleurent de rage. On comprend leur douleur et on la respecte, mais on lève les épaules devant les matadors qui posent pour la lutte à outrance quand l’armistice est signé. Tout est donc perdu, malgré nos souffrances et notre résignation. Nous pouvons dire que nous avons enduré tout ce qu’il était humainement possible de souffrir avec un courage digne d’un résultat plus heureux. Pour moi, j’ai enduré plus de misère dans les deux derniers mois que dans tout le reste de ma vie. Jamais je n’ai autant souffert du froid, jamais je n’ai eu l’estomac démantibulé comme pendant ces soixante jours d’anxiétés et de privations. Nous ne serons pas ravitaillés avant huit jours, car les chemins de fer coupés, les ponts démolis, les routes effondrées, ne permettent pas le transport immédiat de la masse effrayante de provisions nécessaires pour nourrir une population de 2,250,000 âmes. Il nous faudra donc, pendant toute la semaine prochaine, continuer à manger notre affreux pain noir et les lambeaux de chien et de chat que nous pourrons attraper.