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journal du siège de paris.

mençons l’année au son d’une canonnade enragée. Les grosses pièces de marine des forts et des redoutes du Moulin-Saquet et des Hautes-Bruyères répondent énergiquement au feu des assiégeants. C’est une chaîne non interrompue de coups de tonnerre depuis le matin jusqu’à deux heures de l’après-midi. À dater de ce moment, les coups ne se suivent plus que de cinq minutes en cinq minutes. Cependant les rues de Paris sont pleines de gens qui font leurs visites. On se presse la main, on s’embrasse avec une gaieté qui n’a pas l’air d’entendre le grondement formidable des canons Krupp. Je pense au pays et à la famille, et au jour de l’an canadien. Reverrai-je jamais le ciel de la patrie ? Dieu seul le sait. Pour mes étrennes, j’ai mangé du chien. Ce n’est pas mauvais. Pourtant il faut se faire violence pour avaler les premières bouchées de l’ami de l’homme, car nous avons une répugnance instinctive pour cette viande. On vend au prix de quatre francs la livre une espèce de tête de cochon en fromage. Ça vous empeste à cent mètres. De quelles substances hétéroclites peut bien se composer cette ratatouille infernale ? Je n’ai pas besoin de vous dire que le porc n’existe plus depuis longtemps dans la bonne ville de Paris.

Lundi, 2 janvier. — Froid de chien et repas de chien. Bombardement d’une violence incroyable sur le fort de Nogent, qui a reçu plus de six mille obus pendant la journée. Les dommages matériels ne sont pas considérables. Seulement trois hommes tués et douze