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journal du siège de paris.

mourir de faim jusqu’au quinze mars. D’ici là, il passera bien de l’eau et bien du sang dans les rivières de France et la victoire reviendra peut-être au drapeau tricolore. Dans quelques jours, les omnibus ainsi que les fiacres cesseront de circuler. Chevaux de louage, chevaux de luxe, tout sera mangé. Samedi soir, 17 décembre. — Toujours un temps très doux. On trouve cela joliment bon de ne pas geler. Canonnade des forts, mais rien de sérieux. On parle de bombardement pour la semaine prochaine. Je continue à n’en rien croire. Il y a aujourd’hui trois mois que nous sommes investis. Je crois que c’est la première fois qu’une ville de deux millions d’habitants est assiégée pendant un aussi long espace de temps. Dans un centre comme Paris, où les cerveaux brûlés des quatre coins de l’Europe se donnent rendez-vous, il est réellement merveilleux que la tranquillité publique ait pu se maintenir si longtemps. Je ne parle pas de l’échauffourée du 31 octobre, qui n’a été que ridicule et qui n’a duré que quelques heures. Remarquez que nous n’avons plus de sergents de ville, que la police est faite par les citoyens. Le chiffre des crimes et délits de toute espèce a diminué de plus de 60% ou des trois cinquièmes depuis que nous sommes assiégés. À quelque chose malheur est bon. Il n’y a qu’une seule spécialité qui ait augmenté depuis l’investissement, c’est l’ivrognerie. On ne travaille plus, tout le monde est garde national, on fait l’exercice deux fois par jour, ce qui altère énormément, à ce qu’il