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journal du siège de paris.

Lundi soir, 24 octobre. — Temps sombre avec des averses dans l’après-midi. Calme complet sur toute la ligne. Nous venons d’avoir une aurore boréale comme l’Europe n’en a pas vu depuis un siècle. Le ciel était rouge comme si un incendie formidable avait éclaté autour de Paris. On a cru un instant que c’était la forêt de Bondy qui brûlait. Tout le monde était aux portes. Beaucoup de gens regardaient avec anxiété ce spectacle étrange et voyaient dans ce phénomène, les uns, le signe de grands malheurs pour la patrie, les autres, le présage de la défaite des Prussiens. Ce gigantesque manteau rouge, à travers lequel les étoiles scintillaient comme des paillettes d’or sur un fond de velours, se déroulait sur nos têtes et semblait devoir nous ensevelir dans un suaire sanglant. C’était grandiose mais sinistre. Peut-être aussi les tristesses d’un siège qui se prolonge, les malheurs de la France qui semble s’effondrer sous les pas de l’invasion, la douloureuse incertitude de l’avenir, nous faisaient-ils voir dans ce spectacle merveilleux un côté sombre, qu’en des temps moins malheureux nos yeux n’auraient pas su trouver. Au moment où je vous écris, 9½ heures du soir, le ciel a une teinte rosée comme le champagne oeil-de-perdrix. Dans l’après-midi, une fabrique de bombes a fait explosion à Montmartre. Une personne tuée, trois blessées. Pour amadouer le XIe arrondissement, qui ne pouvait, comme Calypso, se consoler de la perte de son maire, le citoyen Mottu, le Journal officiel de ce matin nous annonce que le boulevard du