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octave crémazie

tenir sur ce que nous appelons, chez nous, un homme instruit. Qui nous achetait les œuvres d’une valeur réelle ? Quelques étudiants, quelques jeunes prêtres, qui consacraient aux chefs-d’œuvre de la littérature moderne les petites économies qu’ils pouvaient réaliser. Les pauvres donnent souvent plus que les riches ; les produits de l’esprit trouvent plus d’acheteurs parmi les petites bourses que parmi les grandes. Du reste, cela se conçoit. Le pauvre intelligent a besoin de remplacer par les splendeurs de la pensée les richesses matérielles qui lui font défaut, tandis que le riche a peut-être peur que l’étude ne lui apprenne à mépriser cette fortune qui suffit, non pas à son bonheur, mais à sa vanité. En présence de ce déplorable résultat de quatre années de travaux et de sacrifices de la part des directeurs du Foyer canadien, je suis bien obligé d’avouer que vous avez raison, cent fois raison, de traiter mon plan de rêve irréalisable. Il ne nous reste donc plus qu’à attendre des jours meilleurs. Attendre et espérer, n’est-ce pas là le dernier mot de toutes les illusions perdues comme de toutes les affections brisées ? Pourquoi Fréchette n’écrit-il plus ? Est-ce que le res angusta domi aurait aussi éteint la verve de ce beau génie ? N’aurait-on pas un peu le droit de l’appeler marâtre cette patrie canadienne qui laisse ainsi s’étioler cette plante pleine de sève, qui a déjà produit ces fleurs merveilleuses qui se nomment Mes loisirs ? Alfred de Musset a dit dans Rolla :

Je suis venu trop tard dans un pays trop vieux.