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octave crémazie

au berceau ? Les épiciers s’abonnent volontiers à une publication nouvelle, afin de se donner du genre et de se poser en protecteurs des entreprises naissantes ; mais, comme cette mise de fonds, quelque minime qu’elle soit, ne leur rapporte ni plaisir (margaritas ante porcos) ni profit, ils ont bien soin de ne pas renouveler leur abonnement.

« Le patriotisme devrait peut-être, à défaut du goût des lettres, les porter à encourager tout ce qui tend à conserver la langue de leurs pères. Hélas ! vous le savez comme moi, nos messieurs riches et instruits ne comprennent l’amour de la patrie que lorsqu’il se présente sous la forme d’actions de chemin de fer et de mines d’or promettant de beaux dividendes, ou bien encore quand il leur montre en perspective des honneurs politiques, des appointements et surtout des chances de jobs.

« Avec ces hommes vous ferez de bons pères de famille, ayant toutes les vertus d’une épitaphe ; vous aurez des échevins, des marguilliers, des membres du parlement, voire même des ministres, mais vous ne parviendrez jamais à créer une société littéraire, artistique, et je dirai même patriotique, dans la belle et grande acception du mot.

« Les épiciers étant admis, nous n’avons malheureusement pas le droit de nous étonner si le Foyer canadien, qui avait deux mille abonnés à sa naissance, n’en compte plus que quelques centaines. Pendant plus de quinze ans, j’ai vendu des livres et je sais à quoi m’en