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À M. Jacques Crémazie.


Paris, 25 février 1868.
Mon cher frère,

Mercredi, quand j’ai dîné chez M. Bossange, il a bien voulu me promettre une carte d’admission pour le corps législatif. Samedi matin, je recevais cette carte. À une heure, j’étais au palais Bourbon, et, à deux heures et demie, messieurs les députés faisaient leur entrée dans la salle des séances. J’ai eu la bonne fortune d’entendre parler Rouher et Thiers, qui ont occupé presque toute la séance. Rouher a d’abord parlé pendant près de deux heures, puis Guéroult pendant une demi-heure. Alors Thiers est venu attaquer le gouvernement, à propos de la loi sur la presse, au sujet de l’amendement présenté par l’opposition sur le compte rendu des débats de la chambre. M. Rouher, qui avait déjà parlé pendant deux heures sur ce sujet, a répliqué. Thiers est revenu à la charge, ce qui a nécessité un nouveau discours de Rouher. Ce sont deux terribles jouteurs que ces orateurs. Thiers, tout petit, portant avec grâce ses soixante-quinze ans qui ne semblent pas lui peser, attaque avec beaucoup de vivacité dans la voix et dans le geste, quoique la pensée soit toujours revêtue d’une forme modérée. Rouher, tout au contraire, est un gros homme dont la puissante membrure annonce la force physique et dont le large front atteste la force intellectuelle et