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Et le vieux mort se tut. La lune haute et pâle
Illuminant le ciel de ses rayons d’opale
Éclairait les trois morts de ses douces clartés.
Le chemin Saint-Louis était désert et morne ;
Un lugubre corbeau, posé sur une borne,
Salua les passants de ses cris attristés.

Montmorency roulait ses vagues mugissantes ;
Les bruits mystérieux des forêts ondoyantes
Semblaient le chant lointain d’une immense douleur ;
Et les chantres des bois, cachés dans le feuillage,
Avaient pour ce soir-là changé leur doux ramage
Pour le cri fauve et dur qu’inspire la terreur.

Les trois morts s’en allaient suivant la même voie ;
Attiré par leur chair, seul, un oiseau de proie,
Des yeux ardents cherchait l’instant de les saisir.
Les arrêtant soudain dans leur marche tremblante,
La voix du jeune mort s’éleva frémissante,
Faible comme un écho, triste comme un soupir :

— « Ce cadavre flétri, rebut de la nature,
« Boue infecte où le Ver trouve sa nourriture,
« Ce mort auquel le Ver disait : Je suis le Roi !
« Ce foyer dégoûtant de honte et de misère,
« Ce pauvre enfant qui crut aux larmes de sa mère,
« Compagnons du tombeau, ce cadavre, c’est moi !

« L’océan de douleurs que l’on nomme la tombe,
« L’impénétrable nuit, la nuit lourde qui tombe