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« En torturant ton corps, moi le Ver, moi le Maître,
« Ton corps qui fut mon ennemi,
« En rendant au néant cette part de ton être,
« Ô mort, je suis bien ton ami !

« Car cette mort du mort, de cette chair flétrie
« Que ton âme vient de quitter,
« C’est le dernier rayon du soleil de la vie,
« Puisque souffrir c’est exister. »

Mais ici du vieux mort la voix faible, indécise,
Se tut ; puis on le vit, frissonnant sous la brise,
Rajuster son linceul déchiré par le vent ;
Sur sa main décharnée il appuya sa tête
Comme pour reposer sa pensée inquiète ;
Puis il reprit bientôt son récit émouvant.

— « Ils parlèrent encor les deux causeurs funèbres
« Ils parlèrent longtemps, et l’écho des ténèbres
« Aux tombeaux apportait les notes de leur chant.
« Mais bientôt cependant un solennel silence
« Remplaça ce duo d’angoisse et de vengeance,
« Puis le cri seul du Ver s’éleva triomphant.

« Horrible fut ce cri. Se levant dans ma bière,
« Tous mes vers, réveillés à ce cri de leur frère,
« Répondirent soudain en torturant ma chair,
« Et de tous les tombeaux une clameur immense
« De douleur et d’effroi, d’horreur et de souffrance,
« S’éleva comme un chant qui monte de l’enfer. »