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« Comme le fruit sous le pressoir !
« Qui nous dira jamais, dans ce morne royaume,
« Du cadavre du ver ou de celui de l’homme
« Lequel est plus horrible à voir ?

« Eh bien ! poursuis ton œuvre, ô Ver ! et que ta bouche,
« En torturant ma chair de sa lèvre farouche,
« Mette bientôt mes os à nu !
« Oui, dévore ma chair sans trêve et sans relâche,
« Et, pour hâter la fin de ton affreuse tâche,
« Cherche et trouve un aide inconnu !

« J’aspire maintenant à devenir poussière,
« Et je veux échanger les ombres de ma bière
« Contre le jour et sa splendeur ;
« Et, porté par le vent dans cette humble vallée
« Où pleure chaque jour ma mère désolée,
« Je veux devenir une fleur.

« Pensant toujours à moi, lorsque sous le feuillage
« Où sa main conduisait les pas de mon jeune âge,
« Ma mère reviendra s’asseoir,
« La pauvre fleur qui fut l’objet de sa tendresse,
« En sentant son regard, frémira d’allégresse
« Comme les bois aux chants du soir.

« Et sa pieuse main, sur ma tige posée,
« En sentant sous ses doigts les gouttes de rosée
« Frémir d’amour et de bonheur,
« M’ajoutera peut-être aux lis, aux immortelles
« Qui forment ce bouquet qu’aux fêtes solennelles
« Elle offre à l’autel du Seigneur.