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octave crémazie

tine, s’il cultive la poésie ; de Balzac, s’il a essayé du roman. Et quand il passe sous la porte Saint-Jean, il a bien soin de se courber de peur de se cogner la tête. Ces folles vanités de jeune homme s’évanouissent bientôt devant les soucis quotidiens de la vie. Peut-être pendant un an, deux ans, continuera-t-il à travailler ; puis un beau jour sa voix se taira. Le besoin de gagner le pain du corps lui imposera la dure nécessité de consacrer sa vie à quelques occupations arides, qui étoufferont en lui les fleurs suaves de l’imagination et briseront les fibres intimes et délicates de la sensibilité poétique. Que de jeunes talents parmi nous ont produit des fleurs qui promettaient des fruits magnifiques ; mais il en a été pour eux comme, dans certaines années, pour les fruits de la terre. La gelée est venue qui a refroidi pour toujours le feu de leur intelligence. Ce vent d’hiver qui glace les esprits étincelants, c’est le res angusta domi dont parle Horace, c’est le pain quotidien.

« Dans de pareilles conditions, c’est un malheur que d’avoir reçu du ciel une parcelle du feu sacré. Comme on ne peut gagner sa vie avec les idées qui bouillonnent dans le cerveau, il faut chercher un emploi, qui est presque toujours contraire à ses goûts. Il arrive le plus souvent qu’on devient un mauvais employé et un mauvais écrivain. Permettez-moi de me citer comme exemple. Si je n’avais pas reçu en naissant, sinon le talent, du moins le goût de la poésie, je n’aurais pas eu la tête farcie de rêveries qui me faisaient prendre le