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octave crémazie

bureau, à peine éclairé par une fenêtre percée du côté de la cour, et où l’on se heurtait contre un admirable fouillis de bouquins de tout âge, de tout format et de toute reliure. C’était le cénacle où il donnait ses audiences intimes. On s’asseyait sur une caisse ou sur une chaise boiteuse, et on laissait la causerie chevaucher à tous les hasards de l’imprévu. C’est alors, dans ces cercles restreints, que Crémazie s’abandonnait tout entier et qu’il livrait les trésors de son étonnante érudition. Les littératures allemande, espagnole, anglaise, italienne, lui étaient aussi familières que la littérature française ; il citait avec une égale facilité Sophocle et le Ramayana, Juvénal et les poètes arabes ou scandinaves. Il avait étudié jusqu’au sanscrit !

Disciple du savant abbé Holmes, qui a laissé un nom impérissable au séminaire de Québec, et qui en avait fait son ami plus que son élève, il avait appris de lui à ne vivre que pour la pensée. Il avait fait de l’étude l’unique passion de sa vie, et elle lui suffisait. Elle fut sa compagne sous la bonne comme sous la mauvaise étoile. Quand tout le reste l’eut abandonné, elle s’assit à son chevet pour animer sa solitude, endormir ses douleurs, calmer ses insomnies et adoucir les amertumes de l’exil.

Abstème comme un anachorète, négligé dans sa tenue, méditatif autant qu’un fakir, il ne vivait que pour l’idéal ; le monde ne lui était rien, l’étude lui était tout. Le travail de la composition et de la lecture absorbait une grande partie de ses nuits : il composait