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De celui-ci mon coeur n’aurait osé se plaindre ;
Si ce coeur pénétré de vos soins généreux
N’avait cru vous devoir de si tendres aveux.
C’en est fait, Clodomir, la fortune inhumaine
Vient de briser les noeuds d’une innocente chaîne ;
Plaignez-moi, plaignez-vous, mais respectez mon coeur,
Ses regrets, son devoir, sa gloire et sa candeur.
Un rival... À ces mots, ne craignez rien d’Octave,
Un tyran à mes yeux ne vaut pas un esclave ;
Un rival plus heureux va causer nos malheurs
Et ne n’oserai plus vous donner que des pleurs.
Pour la dernière fois, écoutez leur langage,
Votre amour n’en doit pas exiger davantage.
Le fils du grand Pompée, hélas ! que n’est-ce vous,
Que j’eusse avec plaisir accepté mon époux !
C’est vous en dire assez, et j’en dis trop peut-être ;
Adieu. Bientôt Sextus en ces lieux va paraître,
Consultez mon devoir... Ah ! fuyez, Clodomir,
Quelqu’un vient, et je crois que c’est un triumvir :
Mon père vous attend.


Scène III

Lépide, Tullie.
Lépide

 Vertueuse Tullie,
Arrêtez un moment, c’est moi qui vous en prie ;
Confondez-vous Lépide avec des furieux,
Opprobres à la fois des hommes et des dieux ?
Triumvir malgré moi, tyran sans barbarie,
Je venais avec vous pleurer sur la patrie
Et dire à votre père un éternel adieu ;
Ma vertu souffre trop en ce funeste lieu,
Dont je ne puis chasser mes collègues impies,
Monstres dans les Enfers nourris par les Furies,
Et le Sénat en proie à ces deux inhumains,
Me charge des forfaits réservés à leurs mains.
Tandis que nos malheurs sont leur unique ouvrage,
La haine et le mépris vont être mon partage ;
Sur un honteux soupçon et si peu mérité,
Du coeur de Cicéron j’attends plus d’équité ;
Mais de ces lieux cruels il faut que je m’exile
Dans l’Espagne, où j’ai su me choisir un asile,