N’accablez point, Tullie, une âme au désespoir ;
Si ma douleur n’a rien qui vous puisse émouvoir
Écoutez-moi du moins en ce moment funeste :
De ce père si cher, le seul bien qui vous reste,
L’implacable Fulvie a juré le trépas,
Vous la verrez bientôt l’arracher de vos bras,
Et couvrir de son sang cette auguste retraite
Qui n’est pour Cicéron ni sûre ni secrète ;
Octave a découvert qu’il était en ces lieux,
Rien n’échappe aux regards de cet ambitieux ;
Dangereux et prudent, plus adroit que sincère,
Il ne s’attachera qu’à tromper votre père ;
Mécène est avec lui. Ce sage courtisan
Peu digne du malheur de servir un tyran
Vient flatter Cicéron d’une faveur ouverte,
Sans savoir que peut-être, il travaille à sa perte.
Octave vous adore, et prétend à son tour
Que votre père et vous couronniez son amour.
Et moi qui vous aimais plus qu’on n’aime la vie,
Je vous perds avec elle, adorable Tullie ;
Votre hymen mettra fin à leur division,
Et c’est mon sang qui va sceller leur union.
Votre sang ? Ah ! croyez qu’il n’est point de puissance
Que je n’ose braver ici pour sa défense ;
Eh, quel sang fut jamais si précieux pour nous ?
Est-il quelque Romain qui le soit plus que vous ?
Clodomir, il est temps de vous ouvrir mon âme :
J’ai vu sans m’offenser éclater votre flamme,
J’ai souffert sans courroux qu’un amour malheureux,
Malgré ma dignité, m’entretînt de ses feux ;
Et cédant sans effort au penchant invincible
Qui triomphait d’un coeur si longtemps insensible,
Mon devoir contre vous n’a jamais combattu.
L’amour pour vos pareils devient une vertu,
Et la vôtre d’accord avec mon innocence
Ne m’a point fait rougir de ma reconnaissance.
Je ne vous cache point que mes voeux les plus doux
Se bornaient à l’espoir de vous voir mon époux,
Mais vous n’ignorez pas que la fierté romaine
Jamais dans ses hymens n’admet ni roi ni reine,
Qu’étranger, et surtout sorti du sang des rois
Notre union ne peut dépendre de mon choix ;
Parmi tant de malheurs que nous avons à craindre,