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Laissez, sans le flétrir, périr un misérable ;
Quand vous triompheriez de son inimitié,
Ma vertu ne veut rien devoir à sa pitié.
Puisqu'on m'a prononcé ma sentence mortelle,
Parle : d'où vient qu'ici ta cruauté m'appelle ?
Que prétends-tu de moi dans ces moments affreux ?
Est-ce pour insulter au sort d'un malheureux ?
Va, cruel, sois content ; le ciel impitoyable
Ne peut rien ajouter au destin qui m'accable.
Jouis d'un sceptre acquis au mépris de mes droits ;
Soumets, si tu le peux, Amestris à tes lois ;
Pour combler de ton cœur toute la barbarie,
Achève de m'ôter et l'honneur, et la vie ;
Mais laisse-moi mourir, sans m'offrir des objets
Qui ne font qu'irriter mes maux et mes regrets.
Je ne veux point, ingrat, dans ton âme cruelle,
Te rappeler pour toi mon amitié fidèle ;
Rien ne me servirait de t'en entretenir,
Puisqu'il t'en reste à peine un triste souvenir.
Rappelle seulement mes premières années,
Glorieuses pour moi, quoique peu fortunées ;
Cet amour scrupuleux et des dieux et des lois,
Cet austère devoir signalé tant de fois ;
Ces transports de vertu, cette ardeur pour la gloire,
Dont nul autre penchant n'a flétri la mémoire ;
Ce respect pour mon roi, que rien n'a pu m'ôter.
C'est avec ces témoins qu'il me faut confronter,
Non avec Artaban souillé de trop de crimes
Pour donner de sa foi des garants légitimes,
Qui, pour t'en imposer, ne produit contre moi
Qu'un poignard désormais peu digne de ta foi.
Amestris, m'a-t-il dit, doute encore de mon zèle ;
Ce fer peut me servir de garant auprès d'elle,
Un moment à mes soins daignez le confier.
Mais c'est trop m'abaisser à me justifier.
Tout est prêt, m'a-t-on dit. Adieu, barbare frère,
Plus injuste pour moi que ne le fut mon père ;
Les dieux te puniront un jour de mes malheurs.
Tu détournes les yeux ? Je vois couler tes pleurs ?
Hélas ! et que me sert que ton cœur s'attendrisse,
Tandis que ta fureur me condamne au supplice ?
Quel opprobre, grands dieux ! Et quelle indignité !
Au supplice ! Qui, moi ! L'avais-je mérité ?
De tant de noms fameux, en ce moment funeste,