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Seul maître de mon sort, quels que soient les climats
Où le ciel avec vous veuille guider mes pas,
Vous pouvez ordonner, je vous suis.

Rhadamisthe

, à part.

Ah ! Perfide !

À Arsame

.

Prince, je vous ai cru parti pour la Colchide.
Trop instruit des transports d'un père furieux,
Je ne m'attendais pas à vous voir en ces lieux :
Mais, si près de quitter pour jamais Isménie,
Vous vous occupez peu du soin de votre vie ;
Et d'un père cruel quel que soit le courroux,
On s'oublie aisément en des moments si doux.

Rhadamisthe

Lorsqu'il faut au devoir immoler sa tendresse,
Un cœur s'alarme peu du péril qui le presse ;
Et ces moments si doux que vous me reprochez,
Coûtent bien cher aux cœurs que l'amour a touchés.
Je vois trop qu'il est temps que le mien y renonce :
Quoi qu'il en soit, du moins votre cœur me l'annonce.
Mais avant que la nuit vous éloigne de nous,
Permettez-moi, Seigneur, de me plaindre de vous,
À qui dois-je imputer un discours qui me glace ?
Qui peut d'un tel accueil m'attirer la disgrâce ?
Ce jour même, ce jour, il me souvient qu'ici
Votre vive amitié ne parlait pas ainsi.
Ce rival qu'avec soin on me peint inflexible
N'est pas de mes rivaux, Seigneur, le plus terrible ;
Et malgré son courroux, il en est aujourd'hui,
Pour mes feux et pour moi, de plus cruels que lui.
Ce discours vous surprend : il n'est plus temps de feindre ;
La nature en mon cœur ne peut plus se contraindre.
Ah ! Seigneur, plût aux dieux qu'avec la même ardeur
Elle eût pu s'expliquer au fond de votre cœur !
On ne m'eût point ravi, sous un cruel mystère,
La douceur de connaître et d'embrasser mon frère.
Ne vous dérobez point à mes embrassements :
Pourquoi troubler, Seigneur, de si tendres moments ?
Ah ! Revenez à moi sous un front moins sévère,
Et ne m'accablez point d'une injuste colère.
Il est vrai, j'ai brûlé pour ses divins appas ;
Mais, Seigneur, mais mon cœur ne la connaissait pas.

Rhadamisthe

Dieux ! Qu'est-ce que j'entends ? Quoi ! Prince, Zénobie