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forme ; moins l’objet qui la ſéduit eſt réel ; plus elle croit inutile de lui réſiſter : c’eſt dans le ſilence, c’eſt vis-à-vis elle-même qu’elle eſt foible. Qu’a-t-elle à craindre ? Mais ce cœur, qu’elle nourrit de tendreſſe, ces ſens, qu’elle plie à l’habitude de la volupté, ſe contenteront-ils toujours d’illuſions ? Suppoſé même qu’elle ne cherche pas ce qui bleſſe plus réellement la vertu, peut-elle ſe flatter que dans un moment, (& qui ſera peut-être un de ceux où intérieurement elle s’égare, ) où un Amant tendre, ardent, empreſſé, viendra gémir à ſes genoux, & y porter en même-tems ſes larmes & ſes tranſports, elle retrouvera, dans un cœur qu’elle a tant de fois livré volontairement aux charmes de la molleſſe, ces principes qui, ſeuls, pouvoient la faire triompher d’une ſi dangereuſe occaſion ?

Ah, Moclès ! s’écria Almaïde en rougiſſant, que la vertu eſt difficile à pratiquer ! Vous êtes moins faite qu’une autre pour le croire, répondit-il, vous qui, avec tous les agrémens poſſibles, née pour vivre au milieu des plaiſirs, avez tout ſacrifié à cette même vertu, qu’aujourd’hui l’on ſacrifie aux choſes mêmes qui ſembleroient le moins l’emporter ſur elle. Je ne me flatte pas, repliqua-t-elle