Page:Crébillon - Le Temple de Vénus, 1777.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

font, répondit-il gravement, on imagineroit que je ſuis en effet plus eſtimable que vous, & l’on ſe tromperoit. Il eſt aiſé à un homme de réſiſter à l’amour, & tout y livre les femmes. Si ce n’eſt la tendreſſe qui les y porte, ce ſont les ſens. Au défaut de ces deux mouvemens, qui cauſent tous les jours tant de déſordres, elles ont la vanité, qui, pour être la ſource de leurs foibleſſes, que l’on doit excuſer le moins, n’en eſt peut-être pas la moins ordinaire ; & ce qui, ajouta-t-il en ſoupirant & en levant les yeux au Ciel, eſt encore plus terrible pour elles, c’eſt le déſœuvrement perpétuel dans lequel elles languiſſent : cette nonchalance fatale livre l'eſprit aux idées les plus dangereuſes ; l’imagination, naturellement vicieuſe, les adopte & les étend ; la paſſion, déjà née, en prend plus d’empire ſur le cœur, ou, s’il eſt encore exempt de trouble, ces fantômes de volupté, que l’on ſe plaît à ſe préſenter, le diſpoſe à la foibleſſe. Quand ſeule, & abandonnée à toute la vivacité de ſon imagination, une femme pourſuit une chimere que ſon déſœuvrement la force d’enfanter, pour n’être pas troublée dans cette jouiſſance imaginaire, elle écarte toutes ces idées de vertu, qui la feroient rougir des illuſions qu’elle ſe