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LE SOPHA

mêla tout d’un coup à ma colère des mouvements qui ne la laissèrent plus agir qu’avec faiblesse. Tous mes sens se soulevèrent, un feu inconnu se glissa dans toutes mes veines : je ne sais quel plaisir qui, en le détestant, m’entraînait, remplit insensiblement toute mon âme ; mes cris se convertirent en soupirs, et, emportée par des mouvements auxquels, malgré ma colère et ma douleur, je ne pouvais plus résister, en gémissant de l’état où je me voyais, je n’avais plus la force de m’en défendre.

— « Voilà, s’écria Moclès, une terrible situation ! Eh bien ? continua-t-il en la regardant avec des yeux enflammés.

— « Que vous dirai-je ? reprit-elle. Quand je le pouvais, je lui faisais des reproches : mais c’était machinalement. Je crois que je lui parlais, que je le traitais avec tout le mépris qu’il méritait ; je dis que je le crois, car je n’oserais l’assurer. À mesure que ce trouble cruel augmentait, je sentais expirer mes forces et ma fureur ; une confusion singulière régnait dans toutes mes idées. Je ne m’étais pourtant pas encore rendue ; mais quelle résistance ! Qu’elle était faible ! Et que toute faible qu’elle était, elle me coûtait encore ! Je ne me rappelle, Moclès, ce souvenir qu’avec horreur, et la honte qu’il me cause me le rend aussi présent que si je gémissais encore entre les bras de cet audacieux. Quel moment pour ma