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LE SOPHA

— « Ah, Moclès ! s’écria Almaïde en rougissant, que la vertu est difficile à pratiquer !

— « Quoi ! lui dit-il, vous aussi, Almaïde ?

— « J’ai trop de confiance en vous pour vouloir rien vous cacher, reprit-elle, et je vous avouerai que j’ai eu cruellement à combattre. Ce qui m’a longtemps étonnée, et qu’encore aujourd’hui je ne conçois pas, c’est que ce trouble qui s’empare des sens et les confond, soit indépendant de nous-mêmes : cent fois il m’a surprise dans les occupations les plus sérieuses, et qui naturellement devaient y rendre mon âme moins accessible. Quelquefois je le combattais avec assez de succès ; dans d’autres temps, moins forte contre lui, malgré moi-même il m’asservissait, entraînait mon imagination, se soumettait toutes mes facultés. Que ces honteux mouvements subjuguent une âme qui se plaît à les nourrir, et qui ne se trouve heureuse qu’autant qu’elle en est en proie, je n’en suis pas surprise ; mais pourquoi y est-on exposé quand on fait le plus grand et le plus continu de ses soins de les anéantir ?

— « Ce que l’on appelle sagesse, répondit Moclès, consiste beaucoup moins à n’être pas tenté qu’à savoir triompher de la tentation, et il y aurait trop peu de mérite à être vertueux, si, pour l’être, l’on n’avait pas d’obstacles à surmonter. Mais puisque nous en sommes sur ce chapitre, dites-moi, de grâce :