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LE SOPHA

singulier que j’aie été sage : dans une femme, les préjugés aident la vertu, mais dans un homme, ils la corrompent. C’est une espèce de sottise à vous de n’être pas galants ; en nous c’est un vice de l’être. Vous avez dû, vous par exemple qui me louez, en ne pensant que comme moi, mériter pourtant plus d’estime.

— « À ne pas examiner les choses avec cette exactitude de raisonnement qui les montre telles qu’elles sont, répondit-il gravement, on imaginerait que je suis en effet plus estimable que vous, et l’on se tromperait. Il est aisé à un homme de résister à l’amour, et tout y livre les femmes. Si ce n’est pas la tendresse qui les y porte, ce sont les sens. À défaut de ces deux mouvements qui causent tous les jours tant de désordres, elles ont la vanité qui, pour être la source de leurs faiblesses que l’on doit excuser le moins, n’en est peut-être pas moins ordinaire ; et ce qui, ajouta-t-il en soupirant et en levant les yeux au ciel, est encore plus terrible pour elles, c’est le désœuvrement perpétuel dans lequel elles languissent. Cette nonchalance fatale livre l’esprit aux idées les plus dangereuses ; l’imagination, naturellement vicieuse, les adopte et les étend ; la passion déjà née en prend plus d’empire sur le cœur, ou, s’il est encore exempt de trouble, ces fantômes de volupté que l’on se plaît à se présenter, le disposent à la faiblesse.