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LE SOPHA

donné, dit-il à Amine d’un air grave, je vous le laisse ; il n’a pas tenu à moi, petite reine, que vous n’ayez été plus heureuse. Cette mortification-ci vous rendra sans doute plus prudente ; je le désire sincèrement. Allez, ajouta-t-il, je n’ai plus besoin de vous ici. Rendez grâce au ciel de ce que je ne porte pas plus loin ma colère ! »

« En achevant ces paroles, il ordonna à ses esclaves de les faire sortir, n’étant pas plus ému des injures atroces qu’alors elles vomissaient contre lui, qu’il ne l’avait été des larmes qu’il leur avait vu répandre.

« La curiosité de voir l’usage qu’Amine ferait de son humiliation me fit résoudre, malgré le dégoût que ses mœurs me causaient, à la suivre dans ce réduit obscur d’où Abdalathif l’avait tirée, et où elle retourna cacher sa honte et la douleur de n’avoir pas su le ruiner.

« Ce fut dans ce triste lieu que je fus témoin de ses regrets et des imprécations de la vertueuse mère. Les débris de leur fortune, qui étaient encore considérables, les consolèrent enfin de ce qu’elles avaient perdu.

— « Hé bien ! ma fille, disait un jour la mère d’Amine, est-ce donc un si grand malheur que ce qui vous est arrivé ? Je conviens que ce monstre que vous aviez était la libéralité même : mais il est donc le seul à qui