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LE SOPHA

« Amine, l’air embarrassé, pensif, sombre, était un matin à sa toilette. Abdalathif entra. Elle rougit à sa vue ; elle n’était pas accoutumée à le voir le matin, et cette visite inopinée lui déplut. Confuse et timide, à peine osa-t-elle lever les yeux sur lui. À la mine refrognée d’Abdalathif, aux regards terribles que de temps en temps il lançait sur elle, il n’était pas difficile de juger qu’il était tourmenté d’une idée fâcheuse à laquelle, vraisemblablement, elle avait donné lieu. Amine, sans doute, savait ce que c’était, car elle n’osa jamais le lui demander. Il garda quelque temps le silence.

— « Vous êtes jolie ! lui dit-il enfin, avec une fureur ironique ; vous êtes jolie ! Oui, très fidèle ! Oh ! parbleu, ma reine, parbleu ! on saura vous apprendre à être sage, et vous mettre en lieu où vous serez forcée de l’être, du moins quelque temps.

— « Quel est donc ce discours. Monsieur ? lui répondit Amine, d’un air de hauteur ; est-ce à une personne comme moi qu’il peut jamais s’adresser ? Mesurez un peu vos paroles, je vous prie ? »

« L’insolence d’Amine, dans la situation présente, parut si singulière à Abdalathif, que d’abord elle le confondit, mais enfin, la fureur prenant le dessus, il l’accabla de toutes les injures et de tout le mépris qu’il croyait lui devoir. Amine voulut alors entrer en justifica-