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LE SOPHA

« Lorsque le jour fut prêt à paraître, la mère d’Amine revint, et dit au jeune homme qu’il était temps qu’il se retirât : il n’était pas tout à fait de cet avis. Quoique Amine le priât de vouloir bien ménager sa réputation, cette considération ne l’aurait sûrement pas ébranlé, et malgré ses prières, il serait resté, si Amine ne lui eût promis de lui accorder à l’avenir autant de nuits qu’elle pourrait en dérober à Abdalathif.

« Outre Abdalathif, Massoud, et ce jeune homme à qui quelquefois elle tenait parole, Amine, qui avait reconnu l’utilité des conseils que sa mère lui avait donnés, recevait indifféremment tous ceux qui la trouvaient assez belle pour la désirer, pourvu cependant qu’ils fussent assez riches pour lui faire agréer leurs soupirs. Bonzes, brahmines, imans, militaires, cadis, hommes de toutes nations, de tout genre, de tout âge, rien n’était rebuté. Il est vrai que, comme elle avait des principes et des scrupules, il en coûtait plus aux étrangers, à ceux surtout qu’elle regardait comme des infidèles, qu’à ses compatriotes et à ceux qui suivaient la même loi qu’elle. Ce n’était qu’à prix d’argent qu’ils pouvaient vaincre ses répugnances, et, après qu’elle s’était donnée, triompher de ses remords. Elle s’était même fait là-dessus des arrangements singuliers. Il y avait des cultes qu’elle avait plus en horreur que les autres, et je me souviendrai toujours