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LE SOPHA

quoi guérir tes scrupules, et te relever de tous les vœux que tu as pu faire. Conviens-en du moins !

— « Que vous êtes badin ! répondit-elle en se saisissant de la bourse ; vous me connaissez bien peu ! Je vous jure sans l’inclination que je me sens pour vous…

— « Finissons cela ! interrompit-il. Pour te prouver combien je suis noble, je te dispense des remerciements, et même de cette prodigieuse inclination que tu as pour moi : aussi bien dans le marché que nous avons fait ensemble, ne m’a-t-elle servi à rien. Je te paie même aussi cher que si j’étais en premier, et tu sais bien que cela n’est pas dans les règles.

— « Il me semble que si ! répondit Amine ; je fais une perfidie pour vous, et…

— « Si je ne te payais, interrompit-il, qu’à raison de ce qu’elle te coûte, je te réponds que je t’aurais pour rien. Mais encore une fois finissons, quoique tu aies de l’esprit autant qu’on puisse en avoir, la conversation m’ennuie. »

« Quelque impatience qu’il marquât, il ne put empêcher qu’Amine, qui était la prudence même, ne comptât l’argent qu’il venait de lui donner. Ce n’était pas, disait-elle, qu’elle se défiât de lui, mais il pouvait lui-même s’être trompé ; enfin elle ne se rendit à ses désirs que quand elle fut sûre qu’il n’avait point commis d’erreur de calcul.