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LE SOPHA

le suivirent, on pouvait ne pas regretter de n’être point à portée de les entendre.

« Abdalathif, noyé dans le via, enivré des éloges que le mérite qu’on avait découvert à son cuisinier avait rendus plus vifs et plus nombreux, ne tarda point à s’endormir. Un jeune homme, qui avait intérêt qu’il laissât bientôt Amine en état de disposer d’elle, osa bien l’éveiller pour lui représenter qu’un homme comme lui, chargé des plus grandes affaires, et nécessaire à l’État autant qu’il l’était, pouvait quelquefois permettre aux plaisirs de le distraire, mais ne devait jamais s’y abandonner. Il prouva si bien enfin à Abdalathif combien il était cher au prince et au peuple, qu’il le convainquit qu’il ne pouvait différer de s’aller coucher, sans que l’État ne risquât d’y perdre son plus ferme appui.

« Il sortit, et tout le monde avec lui. Quelques regards que j’avais surpris entre Amine et le jeune homme qui venait de haranguer si bien Abdalathif, me firent croire que je le reverrais bientôt. Elle se mit à sa toilette d’un air nonchalant, et débarrassée de cet attirail superbe, plus gênant encore pour les plaisirs qu’il n’est satisfaisant pour l’amour-propre, elle ordonna qu’on la laissât seule.

« La respectable mère d’Amine, gagnée apparemment par le récit que le jeune homme