Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
LE SOPHA

lui. L’opinion qu’il avait de la vertu de Fatmé n’était pas la seule chose qui le rendît si docile ; Fatmé était belle, et quoiqu’elle parût se soucier peu d’inspirer des désirs, elle en inspirait pourtant. Quelque peu aimable qu’elle voulût paraître aux yeux de son mari, elle éveilla sa tendresse. L’amant le plus timide, et qui parlerait d’amour pour la première fois à la femme du monde qu’il craindrait le plus, serait mille fois moins embarrassé que ce mari ne le fut pour dire à sa femme l’impression qu’elle faisait sur lui. Il la pressa tendrement et respectueusement de répondre à son ardeur ; elle s’en défendit longtemps de mauvaise grâce, et céda enfin comme elle s’était défendue.

« Avec quelque opiniâtreté qu’elle lui refusât tout ce qui aurait pu lui faire penser qu’elle n’avait pas, pour ce qu’il exigeait d’elle, la plus forte répugnance, je crus m’apercevoir qu’elle était moins insensible qu’elle ne voulait le paraître. Ses yeux s’animèrent, elle prit un air plus attentif, elle soupira, et quoique avec nonchalance, elle devint moins oisive. Ce n’était cependant pas son mari qu’elle aimait. Je ne sais quelles étaient alors les idées de Fatmé, mais soit que la reconnaissance la rendît plus douce, soit qu’elle voulût engager son mari à de nouvelles attentions, des propos assez tendres, quoique graves et mesurés, succédèrent à ce ton dur