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LE SOPHA

armoire fort secrètement pratiquée dans le mur, et cachée avec art à tous les yeux ; elle en tira un livre. De cette armoire elle passa à une autre, où beaucoup de volumes étaient fastueusement étalés ; elle y prit aussi un livre qu’elle jeta sur moi avec un air de dédain et d’ennui, et revint, avec celui qu’elle avait choisi d’abord, se plonger dans toute la mollesse des coussins dont j’étais couvert.

— Dites-nous un peu, Amanzéi, interrompit le Sultan, était-elle jolie, votre femme raisonnable ?

— Oui, Sire, répondit Amanzéi, elle était belle, plus qu’elle ne le paraissait. On sentait même qu’avec moins de modestie, ces airs évaporés qui inspirent le mépris, à la vérité, mais qui excitent les désirs, elle aurait pu ne le céder à personne. Ses traits étaient beaux, mais sans jeu, sans vivacité, et n’exprimant que cet air vain et dédaigneux sans lequel les femmes de ce genre croiraient n’avoir pas une physionomie vertueuse.

« Le livre qu’elle avait pris le dernier ne me parut pas être celui qui l’intéressait le plus. C’était pourtant un gros recueil de réflexions composées par un Brahmine. Soit qu’elle crût avoir assez de celles qu’elle faisait elle-même, ou que celles-là ne portassent pas sur des objets qui lui plussent, elle ne daigna pas en lire deux, et quitta bientôt ce