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LE SOPHA

— « Hé bien ! répliqua-t-il, voilà les femmes ! On manque malgré soi, on en gémit, on sèche, on languit de douleur, et lorsqu’on n’a mérité que d’être plaint, que l’on revient, plein des plus tendres transports, se jeter aux pieds de ce que l’on aime, on se trouve abhorré. Après tout, vous seriez moins injustes si vous étiez moins délicates. Avec les âmes sensibles on n’a jamais de petits torts. Je vous remercie de votre colère, pourtant ; sans elle, j’aurais peut-être ignoré toute ma vie combien vous m’aimez, et je vous en aurais moi-même aimée moins. Mais, dites-moi donc, ajouta-t-il en s’approchant d’elle familièrement, êtes-vous réellement bien fâchée ? »

« Zulica ne répondit à cette question qu’en le regardant avec le dernier mépris.

— « C’est qu’au fond, continua-t-il, il me serait bien aisé de me justifier. Mais oui, ajouta-t-il, en lui voyant hausser les épaules, très aisé, je ne dis rien de trop ! Car, voyons, quels sont mes torts avec vous ?

— « En vérité ! s’écria-t-elle, j’admire votre impudence ! Me faire venir ici, ne vous y pas rendre ; tout impertinent, tout méprisable même qu’est ce procédé, vous êtes fait pour l’avoir, il ne m’a point étonnée ; mais y joindre la dernière perfidie ! M’envoyer ici un inconnu que vous instruisez de ma faiblesse, quand vous devriez la cacher à toute la terre !…