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LE SOPHA

aimable, je croirais plus aisément que vous ne diminuez rien de votre histoire.

— « Pardonnez-moi, répondit-elle aigrement ; j’ai eu toute la terre.

— « Enfin, reprit-il, voici ce qu’on m’a dit. Vos commencements sont douteux ; on sait pourtant que, dans votre très grande jeunesse, passionnée pour les talents, et persuadée que le meilleur moyen pour en acquérir et les perfectionner est d’intéresser vivement à nous ceux qui les possèdent, vous ne dédaignâtes pas vos maîtres, et que c’est ce qui fait que vous chantez avec tant de goût, et que vous dansez avec tant de grâce.

— « Ah ! grand Dieu ! Quelle horreur ! s’écria Zulica.

— « Vous avez raison de vous récrier là-dessus, Madame, répondit-il froidement : car, en effet, cela est horrible. Pour moi, je ne vous condamne pas, et je ne saurais même assez vous estimer de ce que dans un âge où les femmes qui un jour doivent être le moins réservées, ont tous les préjugés imaginables, vous avez eu assez de force d’esprit pour sacrifier ceux que votre naissance et l’éducation devaient vous avoir donnés. À votre entrée dans le monde, convaincue qu’on ne saurait y être trop fausse, vous cachâtes sous un air prude et froid le penchant qui vous porte aux plaisirs. Née peu tendre, mais excessivement curieuse, tous les hommes que vous vîtes