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LE SOPHA

soyez point quelquefois rendue. Vous seriez la première qui, dans un espace de temps aussi considérable, n’aurait eu que deux amants, ou vous serez forcée de convenir que le goût de galanterie vous aurait pris bien tard.

— « Cela ne serait pas assez nouveau, Monsieur, pour être trouvé incroyable, répondit-elle, et je suis bien trompée s’il n’est arrivé à d’autres que moi d’être longtemps indifférentes, faute d’avoir rencontré de bonne heure l’objet auquel il était réservé de les rendre sensibles. Je n’ai certainement rien à vous dire ; mais quand il serait vrai que j’eusse sur cet article quelque chose à vous confier, la crainte de vous perdre m’empêcherait toujours de le faire. J’ai presque toujours vu le mépris suivre ces sortes de confidences ; et, quoique pour avoir autrefois aimé nous ne soyons point coupables envers l’objet qui nous occupe, il est cependant fort rare que sa vanité nous pardonne de n’avoir pas été le premier qui nous ait rendues sensibles.

— « Mais, quelle idée ! lui dit-il. Qui ? moi, je vous mépriserais parce que vous me donneriez, en m’avouant tout ce que vous avez fait, une nouvelle preuve de votre tendresse, et peut-être la plus convaincante de toutes, par la peine qu’on a communément à l’obtenir ! Eh bien ! vous avez aimé Mazulhim : cela m’a-t-il étonné ? Vous en estimé-je moins ?