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LE SOPHA

soient les femmes seules qui lui fassent cette injustice, cela serait tout simple ; mais, ce que l’on ne conçoit pas, c’est que ce sont les hommes ! Eux qui leur demandent sans cesse des sentiments !

— « Cela n’est que trop vrai, dit-elle.

— « Je le vois dans le monde, continua-t-il ; qu’y cherchons-nous ? L’amour ? Non, sans doute. Nous voulons satisfaire notre vanité ; faire sans cesse parler de nous ; passer de femme en femme ; pour n’en pas manquer une, courir après les conquêtes, même les plus méprisables : plus vains d’en avoir eu un certain nombre que de n’en posséder qu’une digne de plaire ; les chercher sans cesse, et ne les aimer jamais.

— « Ah ! que vous avez raison ! s’écria-t-elle ; mais aussi, c’est la faute des femmes ; vous les mépriseriez moins, si toutes pensaient d’une certaine façon, avaient des sentiments qui pussent les faire respecter.

— « Je l’avoue à regret, répondit-il, mais il est certain qu’on ne saurait nier que les sentiments ne soient un peu tombés.

— « Un peu ! dit-elle avec étonnement, ah ! dites beaucoup. Il y a encore des femmes raisonnables assurément ; mais ce n’est pas le plus grand nombre. Je ne parle point de celles qui aiment, car je crois que vous les trouvez vous-même plus à plaindre qu’à blâmer ; mais pour une que l’amour seul conduit,