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LE SOPHA

« Malgré toutes ces protestations de haine que Zulica faisait à Nassès, il ne voulut pas croire un moment qu’il pût être haï ; et Zulica, en effet, semblait ne pas se soucier beaucoup qu’il crût qu’il n’était plus aimé.

— « Je ne sais pas si je me flatte, lui dit-il enfin, mais je jurerais presque que vous me haïssez moins que vous ne dites.

— « Le beau triomphe ! répondit-elle en haussant les épaules ; croyez-vous que je vous en déteste moins ? Est-ce ma faute si… Mais cela est vrai, je vous hais beaucoup. Ne riez pas, ajouta-t-elle ; rien n’est plus certain que ce que je dis.

— « Je vous estime trop pour le penser, répondit-il ; et cela est au point que je vous verrais inconstante, que je n’en voudrais rien croire. Je suis et je veux être persuadé que vous m’aimez autant que vous pouvez aimer quelque chose.

— « En ce cas-là, reprit-elle, je vous aime donc autant qu’il est possible ; mon cœur n’est point fait pour des sentiments modérés.

— « Je le crois bien, répliqua-t-il, et c’est aussi ce que je voulais dire. Plus on a de délicatesse, plus on a les passions vives ; et quand j’y songe, une femme est bien malheureuse quand elle pense comme vous. En vérité ! j’ose le dire, la dépravation est telle aujourd’hui que plus une femme est estimable, plus on la trouve ridicule ; je ne dis pas que ce