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LE SOPHA

importantes) elle ne parut plus s’occuper d’une crainte que, sans faire une injure mortelle à Nassès, elle croyait ne pouvoir plus garder. D’autres idées, plus douces sans doute, succédèrent à celles-là. Elle voulut parler, mais elle ne put proférer que quelques mots sans suite, et qui n’exprimaient rien que le trouble de son âme.

« Lorsqu’il eut cessé, Nassès se jeta à genoux.

— « Ah ! laissez-moi, dit-elle en le repoussant faiblement.

— « Quoi ! répondit-il d’un air étonné, aurais-je eu le malheur de vous déplaire, et serait-il possible que vous eussiez à vous plaindre de moi ?

— « Si je ne m’en plains pas, reprit-elle, ce n’est pas que je n’eusse de quoi le faire.

— « Eh ! de quoi vous plaindriez-vous ? répliqua-t-il ; ne deviez-vous pas être lasse d’une aussi cruelle résistance ?

— « Je conviens, répondit-elle, que beaucoup de femmes se seraient rendues plus tôt ; mais je n’en sens pas moins que j’aurais dû vous résister plus longtemps. »

« Alors elle le regarda avec ce trouble, cette langueur dans les yeux qui annoncent et excitent les désirs.

— « M’aimez-vous ? lui demanda Nassès aussi tendrement que s’il l’eût aimée lui-même.