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LE SOPHA

ne voulez-vous donc pas qu’ils le deviennent autant pour vous qu’ils le sont déjà pour moi ? »

« Zulica ne répondit rien, mais Nassès ne se plaignit plus. Bientôt il fit passer dans l’âme de Zulica tout le feu qui dévorait la sienne. Bientôt il oublia la parole qu’il venait de lui donner, et elle ne se souvint pas elle-même de ce qu’elle avait exigé de lui. Elle se plaignit à la vérité, mais si doucement que ce fut moins un reproche qu’un soupir tendre que l’espèce de plainte qui lui échappa. Nassès, sentant à quel point il l’égarait, crut ne devoir pas perdre d’aussi précieux instants.

— « Ah ! Nassès ! lui dit-elle d’une voix étouffée, si vous ne m’aimez pas, que vous allez me rendre à plaindre ! »

« Quand les craintes de Zulica sur l’amour de Nassès auraient été aussi vraies et aussi vives qu’elles paraissaient l’être, il y avait apparence que les transports de Nassès les auraient dissipées. Aussi, presque assuré qu’elle ne douterait pas longtemps de son ardeur, il ne jugea pas à propos de perdre à lui répondre un temps qu’il devait employer à la rassurer, et d’une façon plus forte qu’il ne l’aurait pu faire par les discours les plus touchants. Zulica ne s’offensa pas de son silence ; bientôt même (car il ne faut souvent qu’une bagatelle pour faire perdre de vue les choses les plus