Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LE SOPHA

tière que de vous voir assez instruite pour n’en avoir pas besoin. Êtes-vous encore à savoir que ce sont moins les bontés d’une femme pour son amant qui la perdent, que le temps qu’elle les lui fait attendre ? Croyez-vous que je puisse vous aimer et être malheureux, sans que mes assiduités auprès de vous, sans que les soins que je prendrai pour vous attendrir échappent au public ? Je deviendrai triste, et (ma discrétion fût-elle extrême) on n’ignorera pas que vos seules rigueurs causent ma mélancolie. Enfin (car il en faut toujours venir là) vous me rendrez heureux. Pensez-vous qu’avec quelque attention que je m’observe, vos yeux, les miens, cette tendre familiarité qui, malgré tous nos efforts, naîtra entre nous, ne découvrent pas notre secret ? »

« Zulica, par son étonnement et son silence, semblait approuver ce que lui disait Nassès.

— « Vous voyez donc bien, poursuivit-il, que quand je vous presse de me rendre promptement heureux, c’est moins encore pour moi que pour vous que je vous le demande. En suivant mes conseils, si vous m’épargnez des tourments, vous évitez l’éclat qui suit toujours les commencements d’une passion. D’ailleurs dans la situation où nous avons été ensemble, je ne pourrais, sans tout découvrir, marquer d’abord de l’amour pour