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LE SOPHA

si touchante ! Il referma les yeux si languissamment, poussa de si profonds soupirs, que, loin de pouvoir lui montrer autant de colère qu’elle s’en était flattée, elle commença, malgré son insensibilité naturelle, à se sentir émue et à partager ses transports. Cette vertueuse personne était perdue si Nassès eût pu s’apercevoir des mouvements dont elle était agitée. Nassès enfin, rendu à lui-même, saisit la main de Zulica.

— « Nassès, lui dit-elle d’un ton colère, est-ce ainsi que vous croyez vous faire aimer ? »

« Nassès s’excusa sur la violence de son ardeur, qui, disait-il, ne lui avait pas permis plus de ménagement. Zulica lui soutint que l’amour, quand il est sincère, était toujours accompagné de respect, et que l’on n’avait des façons aussi peu mesurées que les siennes qu’avec les femmes que l’on méprisait. Lui, de son côté, soutint qu’il n’y avait qu’à celles qui inspiraient des désirs que l’on manquait de respect, et que rien ne devait mieux prouver à Zulica la force du sien que l’emportement qu’elle s’obstinait à condamner en lui.

— « Si je vous avais moins estimée, poursuivit-il, je vous aurais demandé ce que je viens de ravir ; mais quelque légères que soient les faveurs que je vous ai dérobées, je n’ignorais pas que vous me les refuseriez. Sûr de les obtenir de vous, je n’aurais pas songé