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LE SOPHA

— « Non, reprit-il, je puis avoir le ridicule de le craindre quelquefois, mais je vous jure que je n’aurai jamais celui de le croire.

— « Et moi je n’en jurerais pas, répondit-elle. De l’humeur dont vous êtes, ce doit être pour vous une chose délicieuse que d’entendre mal parler de votre maîtresse, et de venir lui faire une querelle la plus grande du monde sur les propos du premier fat qui, connaissant votre caractère, aura voulu vous donner de l’inquiétude.

— « Ne parlons plus de lui, répondit-il ; et puisque vous m’avez pardonné, et que, jusques à mes injustices, tout vous prouve que je vous adore, ne perdons pas des moments précieux, et daignez me confirmer ma grâce. »

« À ces mots, que Zulica comprenait fort bien, elle prit un air embarrassé.

— « Que vous êtes incommode avec vos désirs ! lui dit-elle ; ne me les sacrifierez-vous donc jamais ? Si vous saviez combien je vous aimerais, si vous étiez plus raisonnable… Cela est vrai, ajouta-t-elle en le voyant sourire, je vous en aimerais mille fois plus ; je le croirais du moins, et n’ayant rien à craindre de vous du côté de ce que je hais, vous me verriez livrer avec beaucoup plus d’ardeur aux choses qui me plaisent. »

« Tout en disant ces augustes paroles, elle se laissait conduire languissamment de mon côté.