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LE SOPHA

des choses qui flattent le plus les sens. Qui peut savoir quelle est la chose qui les flatte le plus ? Celui-là seul qui a joui de toutes. Si la jouissance du plaisir peut seule apprendre à le connaître, celui qui ne l’a point éprouvé ne le connaît pas ; que peut-il donc sacrifier ? Rien, une chimère ; car quel autre nom donner à des désirs qui ne portent que sur une chose qu’on ignore ? Et si, comme cela est décidé, la difficulté du sacrifice en fait seule tout le prix, quel mérite peut avoir celui qui ne sacrifie qu’une idée ? Mais après s’être livré aux plaisirs et s’y être trouvé sensible, y renoncer, s’immoler soi-même, voilà la grande, la seule, la vraie vertu, et celle que ni vous ni moi ne pouvons nous flatter d’avoir.

— « Je ne le vois que trop, dit Almaïde ; il est certain que nous ne pouvons pas nous en flatter !

— « Nous nous en sommes flattés, pourtant, répondit vivement Moclès, qui craignait qu’en laissant à Almaïde le temps de la réflexion, elle ne sentît combien les raisonnements qu’il employait étaient faux ; nous avons osé le croire, et dès ce moment nous voilà coupables d’orgueil. Je suis bien aise, continua-t-il, et je vous loue sincèrement de ce que vous sentez que tant qu’on ne s’est point mis à portée de pouvoir faire une comparaison exacte du vice et de la vertu, l’on ne peut avoir sur l’un et sur l’autre que des