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Ceci dit, il faut se demander ce que ces derniers mois disent de l’état actuel de notre pays ? Bonne nouvelle : tout n’est pas perdu ! Cet épisode aura eu quelques retombées positives. Premièrement, il aura démontré qu’il existe encore un reste de peuple français (au sens politique), et que le pouvoir devra désormais tenir compte des millions de gens que ses mesures abandonnent délibérément comme un chien sur une aire d’autoroute. Les médias semblent également avoir pris conscience qu’ils ne contrôlent plus totalement ce qui est moralement acceptable ou non dans le domaine de l’opinion, que leur politique de terreur morale ne pourra vraisemblablement plus tenir sur la longueur, et qu’il allait désormais falloir tenir compte d’une opinion publique de moins en moins réceptive au récit dominant. Deuxièmement, et c’est l’essentiel : ceux qui se sont mobilisé ont, d’une part, pris l’habitude de manifester, mais surtout ont redécouvert des liens de solidarités locaux que les nouveaux modes de vie semblaient avoir condamné, ce qui aura semé les graines de futur mobilisations (et peut être également celles d’un renouveau du sentiment national). Le fait que certains manifestants soient allés jusqu’à réveillonner ensemble sur les ronds-points restera une image forte, illustrant ce qui s’est joué au cours de ces quelques mois d’agitation. Il faut cependant être lucide sur le principal enseignement à tirer de ces derniers mois, et cet enseignement est loin d’être encourageant. La crise des gilets jaunes aura surtout été symptomatique de la décomposition profonde d’une société française atomisée. Des élites sécessionnistes Tout d’abord, le mouvement est, nous l’avons dit, une réaction à la sécession des élites. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que malgré le jaune électrochoc, la béance entre le peuple et sa classe politique n’a montré aucun signe de résorption, bien au contraire. L’intensification de la mobilisation a été nourrie du mépris déversé presque quotidiennement par des membres du gouvernement, voire par le chef de l’État en personne, parfois la veille des manifestations (sans parler des divers signes de déconnexion comme les élus incapables de donner le montant du smic lors d’interviews télévisées…). On hésite entre volonté délibérée d’attiser la colère pour provoquer des débordements (ce qui est invérifiable), autisme de classe mal soigné, ou tout simplement amateurisme (ou un savant mélange de tout cela ?). Dans tous les cas, la crise n’a vraisemblablement pas changé le regard que le peuple français et sa classe politique portent l’un sur l’autre. Le divorce s’annonce donc durable. Notons au passage la rareté des soutiens aux gilets jaunes dans le monde du spectacle (voire, par moment, une hostilité affichée), ce qui tend à confirmer que le problème ne se limite pas aux médias et à la classe politique, mais à toute la frange supérieure de la société. Une société atomisée Dans le même temps, nous l’avons dit, passé l’euphorie des premières semaines (et même pendant celles-ci), les fractures du « peuple » français n’ont pas tardé à reparaître. La phase d’occupation des ronds-points, mais également les