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raître les principes sucré et alcoolique, ne laisse plus qu’un liquide plat, coloré par le parenchyme (qui s’y trouve dans un état de division extrême), et passant très-promptement à l’acétification. C’est conséquemment à tort que l’on croit généralement que les pommes pourries améliorent la qualité du cidre[1] ; « on ne saurait, au contraire, » dit avec beaucoup de raison M. Payen, qui s’est occupé de cette fabrication avec succès, « on ne saurait apporter trop de soin à séparer les pommes gâtées des autres ; elles ne peuvent que fournir un levain acide, donner un goût désagréable à tout le jus, et empêcher le cidre de s’éclaircir, en y laissant une certaine quantité de parenchyme que la gelée ou la fermentation a divisé à l’infini. Beaucoup de propriétaires, » dit encore ce chimiste manufacturier, « dans les bons crus surtout, connaissent très-bien cet effet, et ils font non-seulement ôter les pommes pourries, mais encore ils évitent soigneusement que les pommes acides soient rentrées pêle-mêle avec les autres. Ces pommes, en effet, ne sont pas susceptibles d’acquérir cette sorte de maturation brune ; elles passent immédiatement à l’état de pourriture. »

Les pommes douces fournissent généralement moins de suc ou moût que celles acides ; mais, comme elles passent plus facilement à la fermentation, on est dans l’usage d’en effectuer le mélange pour réunir à la fois la qualité à la quantité.

La fabrication du cidre varie suivant les pays ; c’est ainsi qu’en Normandie, par exemple, le moulin à cidre est formé d’une noix en fonte dont les dents, engrenant les unes dans les autres, saisissent les pommes et les écrasent ; aux environs de Paris, il se compose d’une meule verticale circulant dans un auget en pierre ou en bois. M. Payen propose de faire usage de la râpe d’Orobel, qui produit une division plus grande de la pulpe ; et enfin M. Boissonade, qui s’est occupé aussi avec succès de ce genre de fabrication, propose, pour éviter la réduction en une sorte de bouillie qui s’exprime difficilement, de revenir à l’ancienne méthode, et de piler les pommes dans un auget ou un mortier, avec des maillets ou pilons de bois.

Quel que soit le mode de division ou de déchirement des cellules, lorsque la pulpe est formée, on y ajoute environ un cinquième d’eau pour faciliter l’émission du moût. On était autrefois dans l’usage d’abandonner la pulpe ainsi obtenue pendant vingt-quatre heures dans une cuve, mais on a remarqué que les pepins développaient un goût désagréable par suite du mouvement de fermentation qui se produisait, et qu’il y avait alors déperdition d’alcool, entraîné par l’acide carbonique, de sorte qu’actuellement on porte immédiatement au pressoir. Cette opération exige quelques précautions que nous allons indiquer.

On divise la pulpe sur un paillasson carré, ou mieux sur un tissu de crin, comme on le pratique en Angleterre. Lorsqu’on a formé un lit d’environ quatre à cinq pouces d’épaisseur, on place dessus un nouveau paillasson ou tissu, on forme une nouvelle couche, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ait formé un cube d’environ trois ou quatre pieds ; on recouvre le tout d’une espèce de plateau formé de madrier, et on procède au pressurage, d’abord légèrement, puis enfin en mettant

  1. Un autre préjugé non moins absurde consiste à croire que les eaux de mares pourries sont plus propres que les eaux limpides et pures à la macération des marcs et à la fermentation des jus, et qu’il en faut moins pour faire sortir le suc des cloisons du fruit. « Sans doute, » dit très-judicieusement M. Girardin dans sa chimie élémentaire, « les eaux de mares, bien entretenues et fréquemment curées, sont préférables, pour la fabrication du cidre, aux eaux de puits, parce qu’elles contiennent moins de sels calcaires ; mais c’est une erreur funeste d’attribuer les mêmes qualités à celles de mares pourries. Il est aisé de concevoir que les matières étrangères organiques qui se corrompent dans leur sein doivent changer la saveur du cidre, et lui communiquer un goût détestable, car la plupart de toutes ces matières ne sont pas volatiles, ni susceptibles de disparaître par la fermentation que subit le sucre contenu dans le jus de pomme, et si les habitants des pays à cidre ne reconnaissent pas le mauvais goût de leur boisson, il faut l’attribuer à l’habitude qu’ils en ont et à la nécessité où ils sont souvent de faire usage pour les autres besoins domestiques d’eaux fétides et vaseuses.