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font mention et signalent même plusieurs variétés qu’il est facile de reconnaître. C’est, sans contredit, l’un des premiers fruits dont les hommes aient fait usage. Le pommier est naturel aux forêts de l’Europe ; dans cet état sauvage, il fournit des fruits âpres dont les animaux sont très-avides, mais que la culture et surtout la greffe modifient d’une manière très-heureuse et approprient à nos goûts et à nos besoins.

Il est fait mention de ce fruit dans l’histoire sacrée ; mais, comme on donnait, au commencement de l’ère chrétienne, le nom de pomme à tous les fruits sphériques succulents, il y a lieu de croire cependant que le premier homme fut tenté non par une pomme, comme on le croit vulgairement, mais bien par le fruit du citrus paradisi, qui vraisemblablement pour cette raison a reçu le nom de pomme d’Adam.

La pomme joue dans l’histoire profane un rôle non moins important ; elle a donné son nom à la déesse des fruits ; elle a contribué à rendre célèbres les travaux d’Hercule ; dans la main du berger Pâris, elle fut un objet d’envie pour trois déesses, et bien innocemment sans doute, cause de la guerre de Troie.

Les hommes les plus célèbres de l’ancienne Rome ne dédaignèrent pas la culture du pommier, plusieurs donnèrent même leurs noms aux espèces qu’ils firent connaître. C’est ainsi que ce peuple belliqueux et agronome avait ses Manliennes, ses Claudiennes, ses Appiennes, dérivées des Manlius, Claudius et Appius. Les Romains n’en connaissaient toutefois qu’environ une vingtaine d’espèces ; l’une d’elles était sans pépins. Ils les divisaient en pommes douces et pommes acides : les premières, qu’ils nommaient mali-mala, étaient mangées crues et sans préparation ; les autres étaient converties en espèces de compotes.

Les pommes sont généralement peu communes en Grèce ; cependant elles ne sont pas tellement rares, que, dans quelques-unes des îles de l’Archipel, les jeunes filles ne puissent mettre en pratique l’usage de se faire, le jour de la Saint-Jean, une sorte de ceinture qu’elles nomment, suivant M. Malo, auquel nous empruntons ces détails, kledonia, et qu’elles portent toute la journée ; elles gravent leurs noms dessus, l’ornent de fleurs et de rubans, et la gardent ensuite avec soin. Si ces fruits se fanent promptement, elles regardent cette circonstance comme un présage funeste ; si elles parviennent, au contraire, à les conserver longtemps, c’est pour elles d’un heureux augure, une preuve enfin qu’elles vivront longtemps, et surtout qu’elles se marieront dans l’année ; et cet espoir-là, dit ce malin auteur, fait toujours plaisir aux jeunes filles, qu’elles soient Grecques ou Françaises.

Par une sorte de contradiction qui n’est toutefois qu’apparente, une loi de Solon obligeait les nouveaux mariés à faire usage l’un de pomme, l’autre de coing, avant d’entrer dans la couche nuptiale. Ce législateur, se fondant sur les propriétés différentes de ces deux fruits et voulant les faire tourner au profit de la génération future, croyait ainsi amortir l’ardeur inféconde de l’un et exciter chez l’autre des désirs qu’un sentiment trop exalté de pudeur pouvait anéantir.

Les pommes et les raisins se partagent le climat de la France d’une manière presque égale, grâce à son heureuse situation topographique. Les premières se développent très-bien dans le nord et dans toutes les contrées où l’abaissement de température ne permet pas au raisin d’acquérir toutes ses qualités et de fournir de bon vin. Elles forment pour les habitants des contrées septentrionales une ressource sinon aussi profitable, au moins aussi utile que le raisin, et, comme par compensation, si les produits en sont moins précieux, leur culture exige aussi moins de soins. Les pommes offrent les formes et les couleurs les plus variées et les plus séduisantes. Voyez, dit le chantre des Jardins :

Ces fruits charmants, ces reinettes dorées,
Ces apis frais, et mille autres couverts,
De tirsu d’or et de robes pourprées.