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pour la langue internationale

moyens de communication matériels. « On n’a rapproché que les corps, on n’a rien fait pour rapprocher les esprits[1]. » À quoi nous sert de pouvoir voyager, écrire, converser d’un bout du monde à l’autre, si nous ne nous « entendons » pas ? Nous sommes dans la situation tristement ridicule de sourds-muets à qui l’on offrirait un téléphone. Et, en fait, ne sommes-nous pas tous plus ou moins sourds et muets à l’égard des étrangers ?

Dans les sciences notamment, pour quiconque veut « se tenir au courant », il est de plus en plus nécessaire de suivre le mouvement des idées dans tous les pays ; et il est de plus en plus impossible de le faire, en raison du nombre toujours grandissant des peuples qui y prennent part. C’est là un état de choses contradictoire qui ne saurait durer. Mais c’est particulièrement dans les Congrès internationaux, comme ceux qui se sont tenus à Paris en 1900, qu’on éprouve le besoin d’un langage commun à toutes les nations. Alors qu’un accord croissant s’établit sur les vérités scientifiques et même philosophiques, alors que se manifestent des affinités intellectuelles et des sympathies entre penseurs de nations différentes, la différence des langues apparaît comme le principal obstacle à l’échange des pensées, à l’entente complète et à la pénétration intime des esprits. L’identité fondamentale des idées fait paraître gênante et absurde la diversité des mots et des formes grammaticales, qui souvent les dénaturent et les faussent. On comprend donc que plusieurs de ces Congrès, ainsi que quelques Sociétés savantes, aient vivement ressenti le besoin d’une langue internationale, et aient exprimé le vœu d’en voir adopter une. Les délégués de ces Congrès et Sociétés ont adopté, dans ses grandes lignes, le plan d’action proposé par l’un d’eux, M. Leau, docteur ès sciences, délégué de la Société philomathique de Paris[2] ; ils ont rédigé en commune une Déclaration[3] qui détermine les conditions que la future L. I. devra remplir, et fixe la marche à suivre pour la réaliser. C’est ce programme que nous allons exposer et développer.

  1. M. de Beaufront, Préface du Manuel complet de l’Esperanto, p. 5, 4e éd. (Paris, Le Soudier, 1899)
  2. Voir sa brochure : Une langue universelle est-elle possible ? Appel aux hommes de sciences et aux commerçants (Paris, Gauthier-Villars, 1900).
  3. Voir le texte de cette Déclaration, p. 31-32.